Appels d’offres qui tuent l’innovation au Québec

août 28, 2025

Les appels d’offres tuent l’innovation au Québec 

Sur une colline, des cerfs-volants flottent dans le ciel au-dessus d’un cimetière.

Symboles d’élévation et de mémoire, ils dansent dans le vent… mais restent attachés au sol.

Cette image illustre parfaitement le paradoxe que vivent bien des entreprises innovantes d’ici : une volonté d’envol, de création, de mouvement… freinée par un environnement réglementaire figé qui les ramène à terre.

Cet article aborde un sujet délicat : l’impact des règles d’appels d’offres sur l’innovation au Québec. Nous reconnaissons l’importance de la transparence et de l’intégrité dans la gestion des fonds publics. Toutefois, après plus de dix ans de resserrements réglementaires, il devient nécessaire de se questionner : avons-nous trouvé le juste équilibre entre intégrité et innovation ?

Les propos qui suivent sont un partage de l’expérience terrain d’entreprises qui investissent en recherche et développement et se heurtent à un cadre parfois contre-productif. Le but est simple : inviter architectes, donneurs d’ouvrage, manufacturiers et décideurs à réfléchir ensemble aux solutions qui pourraient protéger à la fois la probité des processus et l’élan créatif dont nos collectivités ont besoin.

Alors, comment ce paradoxe se traduit-il dans la réalité des entreprises innovantes ?

« L’innovation, c’est du vent dans les voiles… mais nos règles l’attachent au sol. »

Un cadre devenu contre-productif

Depuis la Commission Charbonneau, le Québec a resserré de manière significative ses règles entourant les appels d’offres publics. Cette réforme, nécessaire pour contrer la corruption, a corrigé plusieurs abus graves. Mais en voulant éliminer toute apparence de favoritisme, nous avons créé un effet pervers majeur : l’étouffement de l’innovation.

Aujourd’hui, il est pratiquement interdit de nommer un produit dans un appel d’offres. Même lorsqu’une solution innovante répond exactement aux besoins d’un projet, il faut l’effacer du cahier de charges au profit de formulations neutres. Cette neutralité, conçue pour protéger l’intégrité, se transforme en uniformisation par le bas.

Le Québec compte parmi les rares régions en Amérique du Nord à avoir adopté un cadre aussi strict. Si l’objectif est louable, l’effet est inverse : plutôt que de stimuler l’économie et la qualité, nous nous fermons la porte à des produits supérieurs et à des innovations prometteuses.

Les conséquences réelles sur le terrain

Copies et confusion

Faute de pouvoir nommer les produits originaux, les cahiers de charges détaillent leurs caractéristiques techniques, dimensions, matériaux et finitions… mais sans jamais citer la marque. Résultat : des concurrents reproduisent à la hâte des imitations pour entrer dans l’appel d’offres. Ces copies sont souvent de moindre qualité, mais présentées comme des « équivalences ».

Quand elles échouent sur le terrain, c’est le fabricant original qui en subit les critiques. Le public, ne connaissant pas les subtilités, associe l’échec au produit initial. L’innovation devient ainsi victime de sa propre visibilité.

La concurrence parasitaire

La « concurrence parasitaire » décrit une situation où une organisation tire profit des efforts, de la notoriété ou de l’investissement d’une autre organisation ou d’un concurrent, sans avoir engagé les mêmes ressources.

Dans le contexte des appels d’offres, ce phénomène est fréquent :

  • des plans 2D sont repris dans des devis sans mention et autorisation,
  • des modèles 3D servent de base à l’illustration,
  • des photos sont copiées directement sur les sites des fabricants
  • et des descriptions ou caractéristiques propres aux produits visés sont reprises — parfois même lorsqu’elles relèvent d’informations stratégiques et confidentielles qui constituent un avantage compétitif sur le marché.

Les architectes et donneurs d’ouvrage, souvent de bonne foi, veulent obtenir un produit précis sans enfreindre les règles. Mais en vidant les devis de toute référence explicite, ils laissent le champ libre à des tiers pour s’approprier les innovations d’autrui sans en assumer la qualité ni les investissements, ni la viabilité du produit dans le temps.

Architectes et donneurs d’ordre pris en otage

Les architectes et les donneurs d’ordre municipaux se retrouvent coincés dans un processus absurde :

  • ils doivent analyser et justifier des « équivalences » qui n’en sont pas,
  • évaluer des produits sans garantie de performance ni historique de qualité,
  • multiplier les tâches administratives au détriment de leur mission de conception ou de gestion stratégique.

Ce décalage surcharge leur travail, fragilise leur responsabilité professionnelle et compromet la valeur des projets publics.

Des équivalents de façade

Dans certains cadres d’appels d’offres, la réglementation impose de mentionner au moins trois produits dits équivalents. En théorie, cela favorise l’équité. En pratique, on se retrouve avec des comparaisons absurdes : un produit haut de gamme en aluminium mis en parallèle avec un modèle bas de gamme en acier.

C’est comme si l’on lançait un appel d’offres pour un véhicule et qu’on comparait une KIA et une Mercedes au nom de la neutralité. On sait d’avance qu’ils ne jouent pas dans la même catégorie, mais la réglementation les place côte à côte.

Ce mécanisme crée une illusion d’équité, une perte de temps pour les innovateurs, et une confusion injustifiée pour les villes.

L’investissement sacrifié

Développer un produit innovant n’est pas un geste improvisé. Cela demande :

  • des centaines de milliers de dollars en R&D,
  • des mois, parfois des années de développement,
  • des essais, améliorations, certifications et tests en conditions réelles.

En acceptant des copies bricolées à la hâte comme « équivalences », nous envoyons un message clair aux manufacturiers : votre investissement n’a pas de valeur.

Innover, ce n’est pas comparable à octroyer un contrat pour l’achat et l’épandage de terre.
C’est injecter de la valeur dans notre société, stimuler l’économie locale et créer des emplois qualifiés. C’est pourquoi l’achat et l’installation de produits innovants doivent être traités différemment.

Oser nommer pour protéger l’innovation

Nommer un produit de référence dans un appel d’offres n’est pas du favoritisme. C’est reconnaître un véritable effort de création et protéger la valeur qu’il génère pour la société.

Pour rétablir l’équilibre, il faut permettre :

  • la désignation claire de produits de référence ;
  • un cadre rigoureux pour accepter une équivalence (preuve d’antériorité, existence publique avant l’appel, performance démontrée) ;
  • la publication transparente des comparatifs d’équivalences ;
  • la formation des professionnels de l’appel d’offres sur la propriété intellectuelle.

Une proposition collective élargie

Pour corriger ces dérives, il faut agir à trois niveaux complémentaires :

  • L’UMQ (Union des municipalités du Québec) : en représentant les besoins concrets des villes et en proposant des bonnes pratiques adaptées au terrain, elle peut devenir la voix des donneurs d’ordre qui réclament une meilleure protection de l’innovation.
  • La FMQ (Fédération des municipalités du Québec) : en représentant particulièrement les municipalités de plus petite taille, elle peut contribuer à faire entendre leurs défis spécifiques. Son implication permettrait de s’assurer que les ajustements réglementaires tiennent compte de la diversité des réalités locales et qu’aucune municipalité ne soit laissée de côté dans la protection de l’innovation.
  • Le Conseil du trésor du Québec  : en tant qu’autorité responsable des règles encadrant les marchés publics, il détient le pouvoir d’adapter le cadre réglementaire. Son rôle sera déterminant pour :
    • assouplir les règles et permettre la reconnaissance de produits de référence,
    • encadrer strictement l’usage des équivalences,
    • intégrer la protection de l’innovation et de la propriété intellectuelle dans les processus officiels.

Ainsi, l’UMQ, la FMQ et le Conseil du trésor du Québec, en collaboration avec les architectes, manufacturiers et citoyens, pourraient réconcilier intégrité publique et innovation, au bénéfice de la qualité et de la prospérité collective.

Et maintenant, à vous la parole

Cet article est une invitation. Si vous êtes architecte, gestionnaire municipal, fabricant, entrepreneur ou simplement citoyen, votre voix compte.

👉 Partagez vos commentaires, réflexions et pistes de solution en toute confidentialité.
Nous savons que le sujet peut être délicat et parfois sensible. C’est pourquoi nous vous invitons à contribuer, même sous l’anonymat, via ce formulaire : [JE DÉSIRE CONTRIBUER].

Chaque point de vue compte pour enrichir la réflexion et nourrir le dialogue. Dans un second temps, nous pourrons vous partager les résultats de ce sondage.

Et si, ensemble, on imaginait l’appel d’offres 2.0 — plus transparent, plus équitable, et véritablement favorable à l’innovation ?

Auteur: Johnathan Côté | PDG | Morelli mobilier urbain.

Morelli. Simplement Intemporel.

Pour libérer l’innovation, ensemble.

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